Ritorno dal pascolo
is one of Rembrandt Bugatti’s first sculptures, completed during a stay in the mountains with his uncle, Segantini. Rembrandt and his cousins were the same age and regularly visited the Engadine, Savognino, Sils Maria and Maloja. It was here, in these breath-taking valleys, that Segantini and Bice had chosen to make their home. The region was also a meeting place for intellectuals such as Friedrich Nietzsche, Rainer Maria Rilke, Sigmund Freud, and the painters Gustav Klimt and Giovanni Giacometti.
Ritorno dal pascolo portrays a group of cows being herded by a young paysan. The sculpture is a dynamic work of simultaneous analysis and synthesis. The volume is modelled freehand and the details are simply sketched, allowing light to be captured and fragmenting the surface into a multitude of interlinking planes, which trace the play of the bones and muscles beneath. The hoofs are pressed into the base with broad thumb strokes and the spaces left between the feet define the rhythm of the cow’s gait.
Slow and sure footed, the four mountain cows amble along in single file. In the winter, they live in the cattle shed but from June until September are free to roam the mountain pastures. This space belongs to them alone. Small and muscular, they possess the swollen stomachs of yearlings. On the path home, each is occupied in its own way. One grazes as it walks, another strains its neck forward to nuzzle a third, who turns its head to gaze behind as it sniffs the air, its wide muzzle flared and sensitive to the smells around it, and a fourth lows, its head high and turned towards the watching paysan. Together they form a small herd, returning after a day in the meadows, their heavy udders inviting to be milked. The observer can almost smell and hear the small procession, the young cowherd, staff in hand, and the cows who follow him.
During the same period, the most famous French sculptor of all, Auguste Rodin (1840–1917), would write in 1901: “Retain the models’ own, natural movements [...] the only interesting, lively and useful movement for the artist is that accomplished by the model when subject to Nature’s laws alone.”12
Rembrandt’s cow sculptures were cast in bronze by the Galleria Alberto Grubicy. They were cast individually, in groups of two and three, and as the original group of four cows and the paysan entitled Ritorno dal pascolo. All of them are signed and dated 1901, though none bear a foundry mark. The group Ritorno dal pascolo was exhibited in 1902 at the First International Exhibition of Modern Decorative Arts in Turin.
Ritorno dal pascolo,
modelé lors d’un séjour en montagne au côté de l’oncle Segantini, est l’une des premières sculptures de Bugatti. Rembrandt et ses cousins du même âge partent souvent tous ensemble dans les montagnes de l’Engadine, de Savognino à Sils-Maria et Maloja. Ces vallées de toute beauté, Segantini et Bice les avaient déjà choisies pour y vivre. Elles furent un lieu de rendez-vous pour Friedrich Nietzsche, Rainer Maria Rilke, Sigmund Freud et les peintres Gustav Klimt et Giovanni Giacometti.
Ritorno dal pascolo représente un groupe de vaches guidées par un jeune paysan. Tout à la fois analytique, synthétique et dynamique, le volume est modelé à main libre, les détails sont simplement ébauchés pour accrocher la lumière et fragmenter la surface en une multitude de plans qui s’interpénètrent et donnent l’impression du jeu sous-jacent des os et des muscles. Les sabots enfoncés dans la terrasse, à larges coups de pouce, et les vides entre les pattes donnent le rythme de la marche.
Ces quatre vaches de montagne vont en file indienne, au pas, dans la même direction, le pied sûr. Elles vivent à l’étable l’hiver et, de juin à septembre, occupent les alpages, en liberté. L’espace leur appartient. Petites et musclées, elles ont le ventre gonflé du veau de l’année. Sur le chemin du retour, chacune est occupée à sa façon : l’une broute au passage, tout en marchant, l’autre le cou tendu en avant tente de toucher la troisième qui tourne la tête pour voir en arrière et humer l’air, la largeur de la muqueuse du mufle traduit l’importance de l’odorat, et la quatrième meugle, la tête haute, vers le jeune paysan qui la regarde. Toutes ensemble elles forment un petit troupeau sur le chemin du retour après une journée au pré, les mamelles pleines appellent la traite. À regarder ce jeune paysan qui tient son bâton en main et ces vaches en mouvement qui le suivent, on pourrait presque les entendre et les sentir.
À la même époque, en 1901, Auguste Rodin (1840-1917), le sculpteur français le plus célèbre, écrivait : « laisser au modèle ses mouvements propres, naturels […], le seul mouvement intéressant, vivant, utile pour l’artiste est le mouvement que le modèle accomplit, lorsque seule la nature lui impose ses lois12 ».
La galerie Alberto Grubicy va éditer en bronze tous ces modèles de vaches, individuellement ou bien en groupes de deux ou trois, et en groupe de quatre vaches avec le jeune paysan, Ritorno dal pascolo. Chacun de ces bronzes est signé et daté (1901), mais aucun ne porte de marque de fondeur. Le bronze Ritorno dal pascolo fut exposé en 1902 à la Première Quadriennale de Turin.
Rembrandt Bugatti possède une acuité d’observation hors du commun, un sens inné de l’empathie allié à une sensibilité exacerbée, une faculté intuitive de se mettre à la place de l’autre, de percevoir ce qu’il ressent, mais aussi une capacité de recul intellectuel qui vise la compréhension des états émotionnels des autres, de tous les êtres vivants.
Dès le début, Bugatti va fixer les bases de toute son œuvre : un engagement existentiel total à la recherche d’un idéal de perfection, un dialogue intense et sincère entre lui et son modèle, un face à face permanent. Bugatti choisit, non pas la technique de la taille directe comme son grand-père, mais le modelage à main libre sans repère ni mesure, sans esquisse préparatoire, comme un acrobate sans filet (la voie la plus spontanée, la plus primitive et la plus forte pour traduire la nature, le vivant, en trois dimensions), et la vitesse dans l’exécution pour transcrire son génie dans la matière.
Son engagement est totalement marginal. Pendant ses quinze années de création ininterrompue, exécutée dans l’ivresse, au pas de course, dans la plus grande solitude, jusqu’à l’épuisement, jusqu’à son suicide à l’âge de 32 ans, Bugatti va créer une œuvre puissante et dynamique, universelle et intemporelle, authentique, telle que définie par Walter Benjamin : « ce qui fait l’authenticité d’une chose est tout ce qu’elle contient de transmissible de par son origine, de sa durée matérielle à son pouvoir de témoignage historique13 ».
En ce début du XXe siècle en pleine révolution industrielle, alors que son propre frère construit sa première voiture, Bugatti va relever un autre défi, le plus audacieux, le plus insolent qu’un artiste puisse lancer à l’académisme et à l’avant-garde : s’écarter de la figure humaine pour dialoguer avec le monde des animaux.